Avec une trentaine de spectacles programmés dans onze pays cette saison, en plus d’une quinzaine de représentations en décembre et en avril à domicile, la compagnie des Ballets de Monte-Carlo voyage cette année à un rythme soutenu qui rappelle les saisons d’avant la pandémie. Après des shows à Bangkok et à Séoul au début de l’automne, elle devrait être applaudie à la Nouvelle Orléans, à Budapest à San Sebastián et en Chine au cours du premier trimestre 2024. Une internationalisation qui plaît au chorégraphe-directeur, Jean-Christophe Maillot, en plein processus de création d’une pièce pour décembre, qui a pris le temps d’échanger sur sa vision de la danse, de son travail et de sa compagnie qu’il dirige depuis trois décennies. Interview.
La compagnie voyagera énormément cette saison, les propositions internationales se font plus nombreuses comme avant la pandémie?
Je ressens un réel relent d’intérêt, en effet. Et j’en suis très content car je garde en tête que nous sommes peut être la structure culturelle monégasque la plus facilement exportable. Et nous continuons notre mission de diffuser à l’étranger une image de Monaco vivante, active et créative, c’est vraiment important. Si jamais un jour, des raisons qui pointent leur nez: les conflits mondiaux, l’augmentation du prix des avions, la difficulté à obtenir des visas pour toutes les nationalités de la compagnie selon le pays dans lequel on va, rendaient les tournées un peu plus difficiles, je n’aurais pas de douleur particulière à augmenter le nombre de spectacles à Monaco et à rester plus à la maison.
C’est une option?
Il me semble que le monde va dans cette direction, que l’on va revenir à une sorte de régionalisation de la culture. La réflexion se pose, quand on déplace 90 personnes, deux containers de costumes et décors pour toucher, même avec des salles pleines, 4.000 à 6.000 personnes au maximum. L’important c’est que l’humanité soit nourrie par une proposition artistique. Est-ce qu’il faut que ce soit absolument une proposition artistique qui vienne d’ailleurs, c’est une question. Tant qu’on peut, on maintient ce système, et j’en suis sacrément fier. Depuis 30 ans, nous avons réussi à garder une renommée internationale de la compagnie, nous avons joué sur les cinq continents. Et on continue à nous faire venir dans le monde entier.
"Une compagnie de danse, c'est une microsociété"
Votre troupe de danseurs est une matière vivante, comment évolue-t-elle?
Huit nouveaux danseurs nous ont rejoints cette année. Cinq ont fini leur carrière la saison dernière, ce qui est toujours un moment très triste. Le merveilleux de ce boulot, c’est que le renouvellement est immédiat. Et il se trouve que le renouvellement, là, est excitant. Cela n’a pas toujours été le cas sur trente ans. Il y a eu des périodes où je trouvais la compagnie d’un moins bon niveau. Là nous avons des jeunes vraiment exquis que l’on verra en grande partie dans les nouvelles pièces en décembre.
Les guerres en Ukraine et au Proche-Orient, les opinions contradictoires fracturent la société. Quel est l’écho de ce climat international explosif au sein de votre compagnie cosmopolite?
Une compagnie de danse c’est une microsociété. Dans une même structure, nous avons un échantillon de l’humanité sur son possible au travers des nationalités, de la culture, de l’esthétique, du rapport à la sexualité. Je me pose toujours la question quand je rentre dans le studio car je ressens le monde agressif, le communautarisme. Mais, étonnamment tout ça se contrôle et se maîtrise dans l’espace de la compagnie, où nous avons tous un objectif commun : faire ensemble un spectacle. Rien ne vient perturber cela. Les tensions s’annihilent, il existe une neutralité réelle dans le studio. Comme un phénomène laïque, ou artistique plutôt, assez rassurant. Et c’est à protéger, car ça peut vite déraper. Dans cette agressivité que l’on voit partout, je me demande d’ailleurs à quel point joue le traumatisme du Covid. Cette pandémie a provoqué une telle peur, une telle perturbation par rapport à ce qu’était la vie, que l’on sous-estime à quel point cela nous a marqué.
Artistiquement, diriez-vous que la société actuelle contraint votre création?
Je ne peux plus concevoir un spectacle de manière totalement libre. L’artiste qui prétend le contraire aujourd’hui j’aimerais qu’on me le montre. Il faut faire attention à des choses auxquelles on n’aurait pas fait attention avant. Je veux bien qu’on m’impose de prendre en considération toutes les individualités, tous les communautarismes si fondamentalement cela permettait aux gens intolérants de changer, que l’on s’aime les uns et les autres. Mais c’est une utopie de penser que l’humain n’a que quelque chose de beau. Le laid est présent partout, tout le temps et il faut chercher à l’effacer.
"Pour l’heure, l’histoire continue..."
En 2025, la compagnie fêtera ses 40 ans et vous travaillez à un livre pour raconter cette aventure?
Oui, au départ on m’a proposé de faire ce livre chez Gallimard sur mes différentes créations. Mais je considère que la manière dont j’ai construit cette compagnie, c’est une œuvre en soi, aussi importante que mes ballets. Ce livre, avec de nombreux témoignages, racontera ce que l’on a fait ensemble à Monaco, un endroit unique dans le monde.
En 2025, vous aurez 65 ans, vous êtes vous fixés un âge pour arrêter?
Non... Après le Covid, j’y ai songé. Intellectuellement continuer à penser cette compagnie, à la nourrir à engager des danseurs, à faire venir des artistes, ce n’est pas un problème. Ce qui me questionne, c’est d’être un chorégraphe qui commence à avoir du mal à se mouvoir. Un moment, une forme d’aridité du corps rend plus difficile l’écriture chorégraphique. J’ai commencé avec l’équipe qui m’entoure un travail de transmission pour que cette limite qui m’atteint petit à petit sur la capacité à bouger, ne soit pas un handicap dans l’inventivité même du vocabulaire. Il faut que je travaille avec des gens qui connaissent parfaitement mon vocabulaire pour que lorsque je fais juste un petit geste, eux puissent le traduire. Mais pour l’heure, l’histoire continue...
Une Carmen signée Johan Inger pour finir l’année
C’est assez rare pour être relevé. Pour la première fois dans l’histoire de la compagnie, le traditionnel ballet des derniers jours de l’année ne sera pas une œuvre de Jean-Christophe Maillot, mais celle d’un chorégraphe invité, Johan Inger et sa vision de l’histoire de Carmen, au Grimaldi Forum, du 30 décembre au 4 janvier.
Les Ballets ne clôtureront donc pas l’année 2023 devant le public avec une de vos créations. C’est une première...
Cela m’importait de proposer une soirée entière présentée par un autre chorégraphe. Ce ballet existe déjà, c’est une très belle pièce et ce sera une création pour les danseurs à Monaco. Johan Inger est un chorégraphe que j’apprécie particulièrement. Il fait de Carmen un spectacle jouissif avec la musique de Bizet mais aussi des incursions électroniques, le tout dans une esthétique très nordique qui a beaucoup de charme. Ce spectacle, riche chorégraphiquement, a toute sa place dans les fêtes de d’année.
Johan Inger est le premier des trois chorégraphes invités cette saison. Comment les avez-vous choisis?
J’ai appelé, cette saison, des chorégraphes très différents. En avril, je fais venir Christopher Wheeldon, que je connais depuis très longtemps. Il est plus académique, mais je ressens un besoin de revenir à quelque chose de plus académique. Je trouve toujours la danse contemporaine intéressante mais elle m’épuise un peu dans ses propositions qui ne sont pas particulièrement surprenantes. Wheeldon est dans un travail de danse pure, qui met en avant les spécificités d’un danseur et de sa technique qui le rend hors du commun.
"Un besoin de revenir à plus d'académisme"
Selon vous, la création contemporaine ne rend pas justice à toute la technicité qui fait la virtuosité d’un danseur?
Il existe une telle accessibilité à ce qui se fait partout que les gens ne mesurent pas à quel point ils s’auto-influencent dans une esthétique commune. Et cette esthétique commune fait que trouver des individualités marquantes avec une identité propre devient de plus en plus rare. Le mouvement général prend le dessus et tout le monde fait un peu le même genre d’esthétique. La danse contemporaine est un peu tombée dans ce piège.
Vous vous inscrivez à contre-courant?
Un exemple, j’invite au printemps Sharon Eyal, chorégraphe emblématique de la danse contemporaine à qui j’ai demandé de faire un ballet sur pointes, ce qui n’est pas sa particularité. Je suis épuisé d’avoir des chorégraphes qui avec cet outil qu’est la compagnie, proposent un travail qu’ils feraient avec leurs danseurs. Pour enrichir le répertoire de compagnies comme les nôtres, il faut que les chorégraphes invités, avec leur idée novatrice sur la danse, se préoccupent de savoir comment on arrive à faire des choses originales, pour garder vivants les danseurs de formation académique dans un monde où on aurait tendance à vouloir les effacer. Je défends profondément l’élitisme de l’outil, de la technique, de ces danseurs qui sont des athlètes de haut niveau. Même si évidemment, au final, l’œuvre ne doit pas élitiste, et s’ouvrir au plus grand nombre.
Author: Kayla Pruitt
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